VIENNE, 7 OCTOBRE (ASPAMNEWS)-Réunis à Vienne pour la première fois depuis mars 2020, les treize pays exportateurs de pétrole membres de l’OPEP+ ont décidé mercredi de baisser leur production quotidienne de pétrole de deux millions de barils par jour pour le mois de novembre. Une décision qui va inévitablement doper les prix des carburants, alors que les pays occidentaux s’activent depuis le début de la guerre en Ukraine pour obtenir une augmentation de la production afin d’endiguer l’inflation qui alimente les mécontentements sociaux.
C’est notamment un camouflet pour le président américain Joe Biden, qui s’était rendu à Djeddah en juillet dernier dans cette perspective, soulevant alors des critiques de tous bords pour avoir contribué à réhabiliter Mohammad ben Salmane sur la scène internationale. Le ministre saoudien de l’Énergie, le prince Abdel Aziz ben Salmane, dément tout acte de belligérance. Comment expliquer alors le calcul saoudien ? La première raison est d’ordre économique.
« La décision de réduire la production des stocks est motivée par l’inquiétude croissante que suscitent la récession mondiale et la baisse de la demande, ainsi que par la volonté de faire remonter les prix du pétrole afin d’encourager les investissements dans le secteur », analyse Karen Young, chercheuse au Center on Global Energy Policy à l’université de Colombia, pointant « deux objectifs difficiles à concilier ».
Réévaluation des relations bilatérales
L’OPEP+ qui avait déjà dû faire face en avril 2020 à la dégringolade de la demande de consommation de carburants provoquée par la crise sanitaire du coronavirus, s’inquiétait de la baisse tendancielle du baril depuis début juin. Après avoir enregistré un rare excédent budgétaire au deuxième trimestre 2022, dû aux revenus pétroliers passés à plus de 250 milliards de riyals (65 milliards d’euros), contre environ 132 milliards (34,4 milliards d’euros) au cours de la même période en 2021, le royaume saoudien s’était fixé un prix du brut d’environ 80 dollars le baril pour équilibrer son budget et pouvoir financer ses mégaprojets tels que Neom ou la future station de ski Trojena, censée accueillir les jeux asiatiques d’hiver en 2029.
Au début de l’invasion russe en Ukraine, sa valeur avait atteint des sommets avec un baril qui a frôlé les 140 dollars. Mais la baisse de la production pétrolière pourrait bien être lue en plus comme un signe de défiance envers Washington, dans un contexte où l’alliance bilatérale entre les deux puissances pâtit depuis des années déjà d’un froid diplomatique.
En 2019 notamment, le royaume s’était senti lésé par son garant sécuritaire lorsque des attaques de drones, revendiquées par des rebelles houthis contre deux installations de la compagnie pétrolière Aramco, n’avaient pas été suivies d’une intervention militaire de la part des États-Unis de Donald Trump.
Aussi, après avoir promis lors de sa campagne présidentielle de faire du prince héritier saoudien un « paria », en raison du rapport des services secrets l’incriminant dans l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi en 2018, et refusé de s’adresser directement au dauphin saoudien, Joe Biden avait infléchi sa politique avec la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine.
La récente nomination du prince héritier en tant que Premier ministre pourrait lui assurer une immunité souveraine dans le cadre de poursuites judiciaires, engagées contre lui, notamment en raison de sa responsabilité dans l’assassinat de Khashoggi.
Pour le locataire de la Maison-Blanche, qui s’est dit « déçu » par cette décision « à courte vue » en pleine crise énergétique mondiale, cette rebuffade de la part d’un partenaire stratégique dans la région sonne comme une défaite amère. Les répercussions de ce rapprochement raté pourraient lui être dommageables sur la scène domestique, à l’horizon des élections de mi-mandat qui se tiendront le 8 novembre, alors que la flambée des prix à la pompe génère un large mécontentement auprès de la population.
Une main tendue à la Russie
D’autres solutions, plus graduelles, auraient pourtant pu être prises de la part de Riyad pour prévenir une récession. « La géopolitique ne peut être ignorée ; il est indéniable que cette décision souligne la détermination de l’Arabie saoudite à mener une politique étrangère indépendante des États-Unis. La poursuite de la coopération énergétique avec la Russie est ici une variable importante de l’équation », pointe Giorgio Cafiero, fondateur et PDG de Gulf State Analytics.
Parmi les premiers producteurs mondiaux d’hydrocarbures, la Russie est, avec l’Arabie saoudite, un moteur de l’OPEP+, dont les intérêts convergent sur le marché de l’énergie. Lors de la réunion à Vienne, les deux pays ont ainsi prolongé leur alliance au sein de l’organisation, entamée il y a six ans, jusqu’à fin 2023. Suite à l’invasion de l’Ukraine par son voisin, Riyad n’avait pas pris position contre Moscou pour protéger notamment leur partenariat.
Si le royaume wahhabite semblait maintenir jusqu’à présent une neutralité face au conflit, la décision prise mercredi de réduire la production mondiale de près de 2 % en termes nominaux s’assimile pour de nombreux analystes à un parti pris de facto pour la Russie, contribuant à lui assurer des revenus conséquents pour financer l’effort de guerre.
L’accord officialisé mercredi intervient notamment alors que Washington essaie de convaincre les pays du G7 d’imposer un prix plafond pour le pétrole russe. Le vice-Premier ministre russe, Alexander Novak, sous sanctions américaines mais néanmoins présent dans la capitale autrichienne, a ainsi déclaré que la Russie arrêterait de fournir tout pays qui accepterait cette proposition. Par ailleurs, ces efforts américains auraient alimenté des craintes saoudiennes que cela ne se répercute sur ses propres exportations. (ORJ/2022)
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