27 mai (ASPAMNEWS)- Retour sur les relations entre Paris et Kigali, des décennies de vives controverses autour de l’attitude de la France face au génocide de 1994 jusqu’à l’apaisement récent, avant la visite prévue d’Emmanuel Macron jeudi et vendredi au Rwanda.
Avant le génocide
Au début des années 1990, la France soutient le président Juvénal Habyarimana, un Hutu en butte à la rébellion majoritairement tutsi du Front patriotique rwandais (FPR), basée en Ouganda et menée par Paul Kagame. Après une offensive du FPR déclenchée le 1er octobre 1990, Paris envoie jusqu’à 600 soldats qui participent à l’évacuation d’étrangers.
Le génocide en 1994
Le 6 avril 1994, l’avion du président Habyarimana est abattu au-dessus de Kigali. S’ensuivent des massacres à grande échelle de Tutsi, accusés par les extrémistes hutu de collusion avec le FPR. Quelque 500 parachutistes français évacuent plus d’un millier de ressortissants français et étrangers.
L’Opération Turquoise
Le 22 juin, l’ONU donne son feu vert à la France pour Turquoise, une opération militaire à but humanitaire. Le FPR accuse Paris de chercher à sauver le régime et les auteurs du génocide. Turquoise mobilise jusqu’à août 2.500 soldats français et crée une « zone humanitaire sûre » (ZHS) dans le sud-ouest du Rwanda, freinant de facto la progression du FPR. En juillet, celui-ci s’empare de Kigali, mettant fin au génocide (plus de 800.000 morts selon l’ONU).
En 2005, une enquête est ouverte à Paris sur le massacre de Bisesero en juin 1994 dont des rescapés accusent les soldats français d’avoir abandonné des centaines de Tutsi aux génocidaires. Enquête close sans mise en examen.
En 2020, le site d’information français Mediapart dévoile un télégramme diplomatique révélant que Paris a décidé en juillet 1994 de ne pas arrêter les autorités rwandaises responsables du génocide présents dans la ZHS.
« Dysfonctionnements »
Le 15 décembre 1998, une mission parlementaire française exonère la France, « nullement impliquée » dans le génocide, mais retient une certaine responsabilité due à « une erreur globale de stratégie » et à des « dysfonctionnements institutionnels ». Le lendemain, Kigali accuse la France d’être « coupable de crimes de génocide ».
Rupture des relations
Le 17 novembre 2006, le juge français Jean-Louis Bruguière recommande des poursuites devant la Cour pénale internationale (CPI) contre le président Kagame pour sa « participation présumée » à l’attentat déclencheur du génocide, puis émet des mandats d’arrêt contre neuf de ses proches. Kigali rompt ses relations diplomatiques avec Paris, rétablies trois ans plus tard.
La cour d’appel de Paris confirme mi-2020 l’abandon des poursuites contre les proches de M. Kagame, faute de « charges suffisantes ». Pourvoi en cassation des avocats des familles.
Les rapports d’enquête
En 2008, une commission d’enquête rwandaise accuse Paris d’avoir activement « participé » à l’exécution du génocide. En 2010, un rapport rwandais sur l’attentat désigne comme responsable une frange extrémiste des Forces armées rwandaises. Un rapport d’expertise français conclut en 2012 que l’avion a été abattu par des missiles tirés depuis un camp tenu par des loyalistes.
Les procès liés au génocide
Deux procès liés au génocide débouchent en France sur trois condamnations définitives: l’ex-officier de la garde présidentielle Pascal Simbikangwa a été condamné à 25 ans de prison et Octavien Ngenzi et Tito Barahira, anciens bourgmestres de Kabarondo, théâtre de massacres, à la perpétuité. Une trentaine d’enquêtes se poursuivent.
« Esprit nouveau »
Les relations s’améliorent fin 2018 après le soutien appuyé de Paris à la nomination de la Rwandaise Louise Mushikiwabo à la tête de la Francophonie. En février 2020, Paul Kagame salue un « esprit nouveau » et une « amélioration » des relations bilatérales. Fin juin, Paris et Kigali signent des accords de financement pour près de 50 millions d’euros, notamment pour lutter contre le Covid-19.
« Responsabilités lourdes et accablantes »
Fin mars 2021, un rapport de plus de 1.000 pages, fruit de deux années d’analyse des archives françaises, dresse un bilan sans concession de l’implication militaire et politique de Paris, tout en écartant la « complicité » de génocide. La France « est demeurée aveugle face à la préparation » du génocide et porte des « responsabilités lourdes et accablantes », assène la commission de 14 historiens mise en place en 2019 par Emmanuel Macron.
Le 7 avril, Paul Kagame salue un « important pas en avant ». Paris annonce l’ouverture au grand public d’importantes archives, notamment celles du président socialiste de l’époque, François Mitterrand.
Un nouveau rapport, commandé par Kigali et publié le 19 avril, conclut que la France « porte une lourde responsabilité » dans le génocide. Ce texte rédigé par un cabinet d’avocats américains affirme qu’elle fut un « collaborateur indispensable » du régime hutu.
Vers une normalisation des relations
Le 17 mai, Paul Kagame estime que les deux pays ont désormais l’occasion de bâtir « une bonne relation ». Emmanuel Macron annonce le lendemain qu’il se rend fin mai au Rwanda. Cette visite, prévue jeudi, « devrait consacrer une nouvelle étape dans le rapprochement et sans doute une étape finale de normalisation des relations », selon la présidence française. (GEO/2021)
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