LIBREVILLE, 7 FÉVRIER (ASPAMNEWS)- À moins d’une semaine de son ouverture, la «rencontre» censée jeter « les bases de la préparation des scrutins au lendemain apaisé» ressemble sinon à un serpent de mer, du moins à un bond dans l’inconnu. Dans ses vœux à la Nation, le président de la République s’était gardé d’en décliner les aspects opérationnels, se contenant de proclamer sa volonté de la convoquer «dans les meilleurs délais».
Au terme de sa réunion du 1er février dernier, le Conseil des ministres ne s’est pas montré plus disert, se limitant à fixer la date puis à confirmer l’objectif général. Volontairement entretenu ou pas, ce flou n’incite guère à l’optimisme. À l’exception de groupuscules opportunément apparus, les forces sociales n’ont pas jugé utile de se prononcer. Même la plate-forme Alternance 2023 s’est murée dans un silence de cathédrale. Comme si tout cela importait peu.
Ne plus retomber dans les errements du passé
Cette indifférence n’est pas vraiment une surprise. Instruites par l’expérience du passé, les forces sociales n’ont eu de cesse de demander des précisions. Pour l’opposition, comme pour la société civile, les modalités pratiques auraient dû être déclinées. Quel statut pour cette «rencontre» ? Quelle personnalité pour la présider ou en assurer la facilitation ? Comment y prendre part ? Quelle composition pour les délégations ?
Quels seront les sujets en débat ? Quel sort pour ses résolutions ? Seront-elles exécutoires ou auront-elles valeur de recommandations ? Quel rôle pour les institutions en place, notamment le président de la République, le gouvernement et le Parlement ? Existe-t-il un comité préparatoire ? Sur toutes ces questions, l’exécutif observe un mutisme assourdissant, laissant le sentiment de naviguer en eaux troubles.
Pourtant, à travers «les bases de la préparation des scrutins au lendemain apaisé» se pose la triple question du vivre-ensemble, de la crédibilité de notre démocratie et de la respectabilité des institutions. Contrairement à une idée reçue, des élections mal organisées ne sont à l’avantage de personne. Même si elles garantissent le maintien du sortant, elles le coupent toujours du peuple, hypothéquant sa capacité d’action.
On l’a vu en 2009, le gouvernement s’étant senti obligé de remercier une bonne partie de la technostructure, livrant l’administration voire le pays aux arrivistes et aventuriers de tout poil. On l’a de nouveau vécu en 2016, l’élection ayant débouché sur une grand-messe et un gouvernement d’union nationale chargé de mettre en œuvre les actes du Dialogue national d’Angondjè en lieu et place du Programme pour l’égalité des chances. Avec la «rencontre» du 13 du mois courant, Ali Bongo espère ne plus retomber dans les errements du passé.
Impréparation totale
Sauf à faire montre de cynisme ou d’irresponsabilité, les imprécisions de l’exécutif se comprennent difficilement. A moins de croire en une manœuvre autodestructrice, son goût pour l’opacité ne se justifie pas. S’il veut se donner une chance de solder le passé, Ali Bongo ne peut s’autoriser un contentieux pré-électoral. S’il espère offrir au pays une opportunité de se ressouder, il ne peut prendre le risque d’une nouvelle crise post-électorale.
Tels sont, en tout cas, les enjeux de son initiative. Pour toutes ces raisons, le processus en cours aurait dû être pleinement démocratique, c’est-à-dire transparent, inclusif et juste. Or, il n’en est rien. A ce jour, la note conceptuelle est toujours attendue. Le maître d’œuvre n’est toujours pas connu. Idem pour le négociateur en chef de la majorité. Pis, selon certaines indiscrétions, aucune tractation préliminaire n’a été initiée.
Dans ce contexte, l’attitude du ministre de l’Intérieur en rajoute à la confusion, confortant l’idée d’une impréparation totale. Sauf si le cadre juridique et institutionnel a changé, «la préparation des scrutins au lendemain apaisé» suppose un reprofilage du Centre gabonais des élections (CGE). Or, si les lois revêtent encore une quelconque valeur, cette entité jouit toujours du pouvoir «d’organiser et d’administrer toutes les élections politiques et référendaires au Gabon».
Comment comprendre l’entêtement de Lambert-Noël Matha à en renouveler le bureau, quitte à prendre des libertés avec les textes ? Par souci de se conformer aux injonctions de la Cour constitutionnelle ? Mais, rien ne lui interdit d’interroger de nouveau la juridiction constitutionnelle. En se gardant de l’inviter à le faire, le gouvernement ne l’a nullement aidé. En revanche, il a semé des doutes sur ses intentions réelles, sur sa conception de la «rencontre» tant annoncée, comme sur sa capacité à donner de la lisibilité aux initiatives du président de la République.
Et l’opposition dans tout ça?
Comment mettre en place le Centre gabonais des élections (CGE), la cheville ouvrière de l’organisation des votes, alors que les opposants qui doivent y siéger ne sont pas en mesure de s’entendre sur les noms de leurs représentants? Rien que ça, l’opposition n’arrive à le faire, au point de contraindre le pouvoir, à travers le ministre en charge de l’Intérieur, à choisir pour elle.
Bien évidemment le pouvoir ne se fera pas hara-kiri en choisissant des opposants, vrais et véritables. Dans cette logique, les «heureux élus», seront, sans aucun doute des opposants programmés pour servir le pouvoir. Redevables à souhait au pouvoir, ils assumeront la pérennité de cette démocratie de façade qui caractérise le sommet du Gabon et constitue la marque déposée de presque tous les dirigeants africains qui ont fait des fraudes électorales et de la mal gouvernance leurs sports favoris.
Le mal est si affligeant à Libreville que les trois opposants qui se sont mis en retrait pour protester contre l’installation des commissions ayant pour attributions d’examiner les candidatures et procéder au vote du président du CGE, sont restés à quai. Le train est parti sans eux, preuve de la volonté manifeste du pouvoir d’aller à ces élections en roue libre.
L’opposition aura toujours le dos assez large pour porter l’accusation classique de ne pas être assez responsable pour se gérer, a fortiori porter le pouvoir d’Etat. Subtilement mais fermement, les opposants gabonais sont en train d’être écartés de la course au fauteuil présidentiel que son actuel proprio, Ali Bongo Ondimba, disant jouir d’une forme olympique, est prêt à reconquérir, malgré les séquelles bien visibles d’un AVC qui a failli le terrasser.
Comme à l’accoutumée et à l’instar de presque toutes les oppositions sous les tropiques, celle du Gabon peine à se réunir autour du minimum. Impossible donc pour elle, en tout cas pour l’heure, de s’unir derrière un seul candidat. Ce faisant, elle fabrique des militants déboussolés, voire désabusés qui, au mieux activent le mode boycott des élections, et au pire des cas balancent carrément dans le camp d’en face.
Parfois, ce sont des leaders de cette même opposition, qui, après avoir chauffé leurs partisans à blanc, les lâchent sans crier gare, souvent contre espèces sonnantes et trébuchantes où cédant aux promesses de strapontins. L’opposition gabonaise n’échappe pas à cette maladie endémique qui frappe toutes ses soeurs africaines, notamment à la veille des élections.
Ne s’accordant que sur leurs désaccords, les opposant ouvrent ainsi un immense boulevard au pouvoir qui n’en demandait pas tant, largement déjà favori, selon la règle non écrite mais incontournable selon laquelle «on n’organise pas les élections pour les perdre». De plus, les finances de l’Etat et tous les autres moyens, dont le parc automobile public, sont abondamment et impunément exploités par les régimes sortants et toujours entrants au finish.
Et pour assommer l’opposition, les pouvoirs oeuvrent presqu’ouvertement à créer et attiser la bagarre entre opposants, les divisant et les opposant les uns contre les autres, dans un combat où tous les coups sont permis.
Ainsi va la démocratie au Gabon et en Afrique où le pouvoir triomphe toujours, même au plus bas de la côte de popularité de son champion. C’est ainsi que de père en fils, les Bongo règnent sans partage sur un Gabon où des opposants comme Jean Ping, pour ne citer que lui, n’ont jamais pu s’imposer dans ces joutes électorales qui, de plus en plus ne passionnent plus grand monde.
Les populations désabusées, et surtout davantage préoccupées par la quête du pain quotidien qui, chaque jour se raréfie, affichent clairement leur désamour pour la politique et ses acteurs.
Mais le prince n’en fait pas un drame, ce qui importe pour lui étant la reconquête ad vitam aeternam de son fauteuil, quitte à s’exposer un de ces quatre matins à la furie du peuple ou l’arbitrage de militaires qui préfèrent maintenant les affaires juteuses à l’enfer du front. (GWT/2023)
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